Sénèque disait : « Ce ne sont pas les évènements de la vie qui nous énervent mais nos jugements par rapport à ceux-ci ».
De cette idée qui fait référence au stoïcisme, il faut déduire que les évènements qui surviennent dans notre vie ne sont pas si terribles qu’on ne l’exprime. Il y a les affaires qui se déroulent objectivement, et la perception que nous en faisons.
Prenons l’exemple du magasin. Vous faites la queue, la file d’attente est interminable. Vous êtes irrité du fait d’attendre. Or, patienter fait parti des choses de la vie. La prochaine fois qu’une personne vous dirait « Désolé de vous avoir fait attendre », vous pourriez répondre « Aucun problème, je n’attendais pas, j’étais juste là ».
Pourquoi dis-je cela ? Parce que dans notre société contemporaine, où les distractions – et j’ai une pensée toute particulière pour le smartphone – sont omniprésentes et sources de comportements compulsifs (comme « scroller » sur Instagram), les êtres humains éprouvent une difficulté grandissante à rester avec leurs pensées. Dans le cas de la queue, les réflexes courants seront de vous plaindre (y compris mentalement) et de naviguer sur votre téléphone. Non car quelque chose d’important vous y attend, mais pour passer le temps et chercher de la « nouveauté », afin d’engendrer un flux de dopamine. Si vous faisiez le test, il est probable que vous ne tiendriez pas longtemps, à observer la vie autour de vous, avant d’éprouver un besoin irrépressible de sortir votre appareil.
« De temps à autre, un projet révolutionnaire apparaît sur le marché et change la face du monde » déclarait Steve Jobs en 2007, à l’heure où il dévoilait le premier iPhone. Bien qu’en pratique, les produits n’arrivent par hasard mais de manière provoquée par leurs concepteurs, il faut avouer que le téléphone portable a bouleversé notre vie, nous a rendu moins patient, et donc plus stressés et nerveux. Si autrefois, on pensait que les capacités de notre cerveau étaient limitées par sa seule composition, il a été scientifiquement prouvé que notre organe cérébral se modifie en fait selon l’entrainement qu’on lui donne, selon nos habitudes de vie, réflexions, apprentissages et surtout répétitions. Il est aisé d’en conclure qu’utiliser son smartphone plusieurs heures par jour modifie fatalement le fonctionnement de notre cerveau.
Revenons dans le magasin, qui est de fait un hypermarché. Le bébé présent dans la poussette devant vous se met à pleurer, ce qui vous inspire une gêne et une irascibilité presque instantanés.
Premièrement, vous êtes dans un lieu public fréquenté par des familles. Vous savez ainsi pertinemment que des enfants en bas âge seront présents. Par la même, vous avez connaissance du comportement banal d’un nourrisson, qui est d’exprimer ses besoins par les cris. Vous ne devriez donc pas être surpris d’entendre les gémissements de celui-là. Si vous ne saviez que les bébés pleuraient, considérez cette donnée comme un élément qui vient s’ajouter à votre savoir : une nouveauté à prendre en compte dans l’étude du comportement humain. Il en va de même pour éviter de prendre à coeur une situation où vous seriez blessé par une personne méchante. Soyez un sociologue curieux de comprendre la marche de son univers. La question que je vous pose donc : êtes vous plus agacé par les pleurs en eux-mêmes, ou par le fait d’être irrité ?
Les cris et les pleurs sont des bruits qui font partis de la vie sur Terre, tout comme les aboiements de chiens ou les sirènes. Ils s’inscrivent dans un état naturel en société, et vos journées se passeraient certainement mieux si vous appreniez à les accepter. Cette adhésion est une étape pour mieux vivre ce qui nous arrive. Il n’y a pas de son « négatif », ils n’apparaissent ainsi dans votre esprit que parce que vous l’avez décidé. Vous avez tranché en rangeant les bruitages et murmures de la vie dans des cases, parce qu’on vous a appris à le faire tout au long de votre éducation, et de votre vie adulte, si tenté que vous le soyez. C’est omettre que nous vivons au sein d’une société malade, et il n’y a rien de fort à s’adapter à un milieu souffrant en perdition.
Ce qui tourmente notre âme est de désirer profondément que les choses se passent autrement que de la sorte dont elles se produisent. Nous souhaiterions disposer du contrôle sur l’ordre des choses, mais comme le disait si bien Marc Aurèle, cet empereur que j’admire, « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un et l’autre ». Vous ne pouvez maitriser l’attitude de ce bébé, ou la vitesse des précédents acheteurs à empaqueter leurs courses. Pourquoi vous infligez-vous en retour des émotions négatives ? Je parle de la colère, de l’irritabilité, de l’impression de perdre du temps. Mais le temps, et les situations, constituent la vie. Cet instant présent qu’aucune personne lucide ne voudrait rendre détestable en générant de la haine. Nous le faisons inconsciemment. Nous ne devrions ni nous réjouir ni nous énerver des faits sur lesquels nous n’avons pas de contrôle, et toujours faire de notre mieux (Miguel Ruiz, Les quatre accords toltèques) pour celles sur lesquelles nous bénéficions du pouvoir. La quasi intégralité de notre bonheur trouve sa source en nous. Les circonstances extérieures n’ont que faire de notre paix intérieure, car elles ne peuvent altérer notre âme. Alors, il semble futile de consentir à ce qu’elles viennent perturber notre équilibre.
Comme pour illustrer les propos émis, Sénèque fermera cette parenthèse comme il l’aura entamé de cette citation : « On souffre plus de notre imagination que de la réalité ».